Que faire de la formation et qu’en faire !

Gilles Schildknecht – octobre 2017

Chercheur associé au CRF/CNAM

Membre du bureau du Comité Mondial pour les Apprentissages tout au long de la vie (CMA)

A chaque changement de pouvoirs législatif et exécutif, la formation professionnelle est vilipendée pour son manque d’efficacité supposé, au regard du budget qui y est consacré.

N’échappant pas à cette habitude, une énième réforme se prépare, accompagnée de ses cohortes de rapports, préconisations de toutes sortes et de déclarations politiques péremptoires.

Mais au fait, de quoi parle- t-on ?

Toutes ces solutions miraculeuses, annoncées sans aucune évaluation sérieuse des mesures encore en vigueur partent de quelles analyses sérieuses. ?

Fait-on référence à un modèle de société de citoyens/travailleurs ?

En quoi l’outil formation contribue- t-il à l’atteinte de finalités et d’objectifs fixés par la nation ?

Le texte qui suit se propose de contribuer au débat nécessaire de clarification, avant d’arriver à des mesures.

Loin d’être exhaustif, après quelques rappels utiles, il pose à partir d’un état des lieux quelques pistes de réflexion.

La société dans son ensemble doit s’emparer de cette thématique au vu des enjeux annoncés par tous et au-delà des acteurs habituels.

Notre hypothèse centrale est que loin de s’acharner à trouver des recettes de façade, il est nécessaire de donner un sens partagé à ce que notre société souhaite comme développement de ses ressortissants à l’aube de transformations économiques et technologiques.

Le sens trouvé ou retrouvé peut permettre ensuite de déterminer des stratégies et de fixer quelques objectifs à piloter dans l’intérêt de notre économie et des individus.

I – Des contextes prégnants et récurrents

I-1 Les commanditaires de la réforme

Le gouvernement annonce s’inscrire dans une double logique d’accompagnement du développement économique et de reconsolidation du pacte social. Pour s’inscrire dans la mondialisation, il souhaite élever, comme ses prédécesseurs, le niveau de qualification de la population ainsi que redonner une deuxième chance à ceux qui, sans ça, sont condamnés à l’exclusion sur le marché du travail.

Le MEDEF, quant à lui, initiateur de la précédente réforme et principalement de la fin de l’obligation de financement pour les entreprises, entend plaider pour un système de formation professionnelle davantage tourné vers les besoins de l’économie et la lutte contre le chômage. Ce qui passe, pour lui, par un pilotage par public : les entreprises et les branches piloteraient la formation des salariés et des jeunes, les administrations publiques la formation des fonctionnaires, l’Etat et les Régions la formation des demandeurs d’emploi.

La Fédération de la Formation Professionnelle (FFP), rappelant dans un récent rapport, que 97% des entreprises de formation sont privées et réalisent 80% du chiffre d’affaires global réalisé, en accueillant 86% des stagiaires formés, propose notamment, non sans avoir souligné comme le fait l’OCDE, le manque de clarté stratégique du modèle français comme axe fort de la future réforme, de désintermédier une partie des flux actuellement gérés par les OPCA.

I-2 L’argument de l’emploi impacte la formation et ses dispositifs

En 2014, Pôle Emploi chiffre à 191 000 le nombre d’emplois non pourvus faute de candidats. Sur la même période le nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) de catégorie A s’élève à 3,5 millions. Si ces 191 000 offres avaient toutes été pourvues, cela n’aurait pas réduit considérablement le niveau de chômage en France. Pourtant le thème de l’appariement entre offre et demande de travail est devenu l’enjeu presque exclusif des politiques d’emploi et de formation, ainsi que des discours politiques qui les accompagnent.

La formation améliore nettement le retour à l’emploi de certains individus mais est sans effet avéré pour d’autres. La possibilité de retour à l’emploi augmente avec le niveau de diplôme des chômeurs formés et diminue en revanche avec l’âge ou le passé professionnel du demandeur d’emploi.

Nous sommes dans une ère d’incertitudes, sans commune mesure avec ce que nous avons connu auparavant. Les rythmes de travail et de circulation de l’information s’accélèrent, les cycles des innovations se raccourcissent et les ruptures technologiques et culturelles se durcissent.  Au-delà du chômage, c’est également la capacité distributive du travail qui a subi les conséquences de cette situation et avoir un travail aujourd’hui ne garantit pas que l’on ait un accès suffisant à la valeur produite. Le phénomène croissant des travailleurs pauvres en est une illustration.

Dans un contexte où les employeurs ont du mal à anticiper leurs besoins en qualifications et compétences et à les objectiver, leurs choix continuent de porter sur des critères qui peuvent être discriminatoires : le diplôme acquis en formation initiale, la personnalité, les caractéristiques sociodémographiques.

II – Quelle formation tout au long de la vie ?

 La formation évolue !

Contrairement à la loi de 1971, qui responsabilisait la seule entreprise vis-à-vis de l’adaptation des salariés au poste de travail et aux évolutions technologiques et organisationnelles, la loi de 2004 a introduit le principe de coresponsabilité du salarié dans le développement de ses compétences, en lien avec les besoins de l’entreprise.  La Loi de 2014, par la seule création d’outils, sans réel projet, en complexifiant un système qui n’en avait pas vraiment besoin, renforce l’individualisation du rapport à la formation, en rendant l’homme seul responsable de son employabilité.

Etre « acteur » de sa formation suppose de pourvoir connaître et choisir une formation en accord avec ses aspirations, son projet personnel et professionnel. Le système de Gestion des Ressources Humaines (GRH) en place joue alors un rôle majeur. Les ouvriers et employés accèdent moins à la formation en entreprise, et souvent pour suivre des formations imposées. Pour une immense majorité des entreprises, c’est la satisfaction aux obligations légales qui déterminent la prise en charge des formations.

Des modalités de formation, déjà expérimentées par le passé (mission Schwartz par exemple) sont soutenues par l’Etat, comme les expérimentations FEST.

Pilotées par le Comité interprofessionnel national pour l’emploi et la formation (Copanef), la Délégation générale à l’emploi et la formation professionnelle (DGEFP), le fond paritaire de sécurisation des parcours professionnels ( FPSPP)  et le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (Cnefop), l’expérimentation Formation En Situation de Travail (FEST) a pour ambition de caractériser et promouvoir un certain type d’actions de formation en situation de travail, les FEST, à la fois qualifiées d’efficaces et susceptibles d’être reconnues comme de vraies actions de formation, au bénéfice des salariés et des employeurs des TPE-PME. Elles outilleront ensuite, notamment les OPCA associés pour favoriser le développement de ce type d’actions.

Au final, les effets de la formation apparaissent hétérogènes. Ils dépendent des individus et des métiers, via le fonctionnement de leur marché du travail, mais aussi des caractéristiques des formations.

Certains travaux mettent en avant l’idée que l’inadéquation entre les compétences attendues par les employeurs et celles détenues par les individus est en partie due au manque de structuration RH de nombre d’employeurs.

III –  Une autre approche de la formation

Se former en permanence tout au long de sa vie devrait être reconnu comme un droit pour tous, car incontournable et dû à tous par l’Etat.

Si la société apprenante, tant annoncée doit advenir, cela passe par un accès pour chacun à des formations de qualité, en adéquation permanente avec les besoins des individus et des entreprises, accompagné des moyens financiers, facilement mobilisables et disponibles immédiatement.

En améliorant en amont la GRH dans les TPE/PME, il deviendrait dès lors possible d’améliorer l’impact de la formation sur le retour à l’emploi.

Pour les pouvoirs publics, il deviendrait possible de mieux cibler les réponses aux besoins en RH des entreprises, qu’ils relèvent de la formation initiale ou continue, de dispositifs d’emploi ou d’appui et d’accompagnement.

Cela suppose que le monde de l’entreprise prenne ses responsabilités dans l’identification de ses besoins en qualifications et compétences.

Un des leviers identifiés par l’OCDE pour améliorer l’appariement entre l’offre et la demande de travail, au de-delà du développement de la formation, consiste à améliorer la qualité de la gestion des RH des entreprises françaises.

En matière de gouvernance, sujet sensible s’il en est et objet de mains conflits en matière de compétences et de contrôle des financements, il peut être utile de rappeler que, par exemple, la loi de 1966 avait prévu la création d’un comité interministériel présidé par le premier ministre et dont le ministre de l’Education nationale était le vice-président, réunissant les ministres intéressés, lieu de confrontation des programmes, d’établissement des directives et de répartition des moyens financiers. Des comités régionaux étaient institués présidés par le préfet, le recteur étant vice-président de droit. Une coordination avec les organisations professionnelles était également mise en place

Ce choix, bien sûr daté, l’organisation administrative de la France a depuis évolué ainsi que les partenaires sociaux, pour qui la formation professionnelle reste un de leur dernier objet de négociation et de gestion directe, jouent un rôle important, peut être réinterroger à l’aune de ce que l’Europe appelle formation tout au long de la vie et que pour notre part nous pensons préférable d’utiliser le terme d’apprentissage tout au long de la Vie.

Apprentissage indique une notion d’acteur de son parcours, à l’époque qui s’ouvre de la démultiplication des moyens d’auto formation. Cette notion pourrait être un signal envoyé à tous pour redonner un élan et surtout l’envie à tous d’apprendre.

Le terme de formation, associé à l’utilisation systématique de référentiels de compétences, notions référées à un contexte précis de travail, aboutit à une forme de dressage des individus, entièrement formatés à l’obtention continuelle d’une meilleure employabilité par le tissu économique.

Cet apprentissage tout au long de la vie ne pourra à terme, malgré les réticences existant encore aujourd’hui, s’envisager sans un véritable continuum entre formation initiale et formation continue, en s’appuyant sur la notion de projet.

Cette notion est à différentier des systèmes d’alternance qui utilise le terme d’apprentissage, qui correspond à un dispositif pédagogique appuyé sur un contrat de travail.

L’appellation deuxième chance usitée de nos jours pour caractériser la formation professionnelle pour adulte montre bien ce que la formation professionnelle est dans l’esprit de nos élites : un rattrapage pour mauvais élèves, qui ne peut concurrencer les diplômes obtenus par la formation initiale. La stigmatisation, qui correspond bien à la situation de la formation professionnelle initiale et continue dans notre pays, ne pourra régresser que par une fusion entre les deux modalités.

Réfléchissons à un modèle national permettant à tout citoyen de trouver les moyens de conduire son parcours de vie qui allie vie privée et vie professionnelle, dans le respect d’un juste équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.

Une société démocratique adulte se doit d’avoir un projet permettant à ses ressortissants d’y adhérer ou de le combattre, pour en proposer un plus juste. Des repères sont nécessaires et permettant de se projeter, car il ne suffit pas de proposer de réparer, de résister, mais plutôt de ré-enchanter notre monde, où règnent le calcul, les algorithmes et les normes en lieu et place de projets de vie.

Eléments de bibliographie :

  • Gilles Schildknecht, articles :
    • Développement de la validation des acquis de l’expérience et relance de la qualification – avril 2017
    • La validation des acquis de l’expérience, l’oubliée des réformes ? – juin 2016
    • Contribution opérationnelle de développement de la formation tout au long de la vie de l’enseignement supérieur au service de l’emploi – mai 2016
  • Groupe de travail n°4 du Réseau Emplois Compétences
    Renforcer la capacité des entreprises à recruter
    France Stratégies – août 2017
  • Rapport du Conseil d’Orientation pour l’Emploi
    Automatisation, numérisation et emploi – septembre 2017
  • Formation professionnelle
    Faire décoller l’investissement dans les compétences
    Diagnostics et propositions
    FFP rapport Berger – octobre 2017
  • La lettre de l’expérimentation FEST – mai 2017
  • Michel Debré et la formation professionnelle 1959-1971
    Pierre Benoist